Avant de partir en vacances parlementaires, les députés ont prolongé pour la 50e fois l’état de siège sur une partie du territoire congolais. Que doit-on en tirer comme enseignements sur les votes et le contrôle parlementaire ?
Deux mois et 22 jours. C’est le temps entre l’entrée en vigueur de l’état de siège, le 6 mai 2021, et le premier moyen de contrôle introduit contre cette mesure exceptionnelle instaurée en Ituri et au Nord-Kivu. Le 28 juillet en effet, le Premier ministre Sama Lukonde est interpellé à l’Assemblée nationale. L’initiative est du député de l’opposition Jean-Baptiste Muhindo. Ce dernier reprochait au chef du gouvernement d’avoir « copié-collé » l’exposé de motif de la troisième prorogation de l’état de siège sur le projet de loi suivant. Mais aucune suite favorable ne sera réservée à cette initiative. Conséquence : Sama Lukonde ne s’est jamais expliqué sur la question.
Pourtant, le règlement intérieur de la chambre basse du Parlement congolais stipule que « le bureau de l’Assemblée nationale inscrit l’interpellation à l’ordre du jour de la séance la plus proche, au cours de laquelle son auteur est invité à en exposer le contenu et les motifs à l’Assemblée plénière à huis clos ». Si cet objet est jugé « opportun » et « est approuvé », l’interpellation doit alors être « inscrite en priorité au calendrier des travaux ».
Un mois après l’interpellation initiée par Jean-Baptiste Muhindo, l’Assemblée nationale adopte, le 29 septembre 2021, à huis clos, le rapport d’évaluation sur l’état de siège, après plusieurs auditions en commission. On y apprend par exemple que c’est dans un « contexte difficile, sans un soubassement quelconque de chronogramme et moins encore sans un montage financier conséquent à même de couvrir les besoins opérationnels sur terrain » que l’état de siège a été instauré. Cet épisode laisse alors entrevoir le début d’un contrôle parlementaire rigoureux sur l’état de siège. Mais, il n’en sera rien.
Puis, un an plus tard, Jean-Baptiste Muhindo adresse une nouvelle interpellation contre Sama Lukonde. Cette fois-ci, l’élu de la ville de Goma voudrait des explications sur l’occupation de Bunagana par le groupe armé M23 et l’enlisement de la situation sécuritaire dans les provinces sous état de siège. Une nouvelle fois, aucune suite favorable n’est réservée à son initiative.
Depuis l’avènement du bureau de Christophe Mboso, après la requalification de la majorité parlementaire, le contrôle parlementaire a plusieurs fois été gelé. Visiblement, les moyens d’information et de contrôle sur l’état de siège n’ont pas eu un traitement différent.
Quid des votes de prorogation ?
Depuis le début de cette législature, les députés ont accordé quatre fois sur cinq au gouvernement, par loi d’habilitation, le droit de légiférer par ordonnance-loi sur certaines matières, y compris les prolongations de l’état de siège. C’est uniquement à la fin de la session de mars 2021 qu’ils ont refusé, « pour des raisons sécuritaires », selon eux, d’habiliter le gouvernement.
Sur les 50 renouvellements de l’état de siège depuis son instauration début mai 2021, le gouvernement a prolongé 19 fois la mesure contre 31 prorogations à l’Assemblée nationale.
De la première prorogation de l’état de siège à l’Assemblée nationale, le 1 juin 2021, à la 50e, la barre des 400 votants n’a été dépassée que deux fois, selon les chiffres officiels. D’abord lors de la 25e prorogation, puis de la 50e prorogation.
Graphique sur les nombre de députés votants
Est-ce que les chiffres officiels des votes à l’Assemblée nationale sont fiables ? Il est difficile de répondre par l’affirmative. Car, dans la pratique, le nombre des votants représente plutôt celui des députés qui ont signé la liste de présence au début d’une plénière. Pourtant, au moment du vote, même les absents sont repris comme des votants. Un observateur du travail parlementaire en RDC a confirmé à Talatala que, lors de vote, le nombre des députés présents baisse sensiblement dans la salle. Qu’il s’agisse de projets de loi ou de propositions de loi.
Aussi, Talatala constate parfois des disparités sur le chiffre des votants. L’exemple le plus frappant remonte à la 49e prorogation de l’état de siège. Officiellement, le bureau de l’Assemblée nationale a annoncé 365 votants : 345 pour, 13 contre et une abstention. La sommation de ces votes pour, contre et abstention ne donne pourtant que 359 votants.
Ceci dit, depuis le début de l’état de siège, le nombre des députés qui participent aux votes à l’Assemblée nationale est de 292,7 en moyenne sur 500, selon les chiffres officiels. Autrement dit, en moyenne, 227 députés ne prennent pas part au vote sur la prorogation de l’état de siège.
Le vote contre la prorogation de l’état de siège ne fait pas le poids
Vingt-cinq mois et trois semaines après l’instauration de l’état de siège, la situation sécuritaire dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ne s’est pas, visiblement, améliorée. La localité de Bunagana reste depuis un an occupée par les rebelles du M23. Les massacres se poursuivent, notamment en Ituri. Pourtant, à l’Assemblée nationale, rares sont les députés qui se prononcent contre les prorogations successives de l’état de siège. Les votes contre n’ont jamais dépassé la barre de 50.
La plupart des députés votant contre sont originaires de l’est du pays, notamment des provinces sous état de siège. Selon les données recueillies par Talatala sur le sens de vote des députés, ceux qui se distinguent par une constance dans leur sens de vote contre sont notamment Remyxon Mumbere Mukweso, Tembos Katembo Mbusa, Willy Bolio Emina Mpa Rewil, Patrice Autsai Adriko, Raymond Tchedya Patay, Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa, Jaynet Désiré Kabila Kyungu, Jeannette Kavira Mapera, Thaddée Katembo Kambere, Justin Kiluba Longo et Liliane Ngoie Many.
Cartographie des députés constants dans le vote contre la prorogation de l’état de siège
Sans débat, la nouvelle règle ?
Depuis la 10e prorogation, les élus du Nord-Kivu et de l’Ituri ont suspendu à plusieurs reprises leur participation aux différentes plénières. En cause : l’absence de débat lors des différentes prorogations de l’état de siège. Sans pouvoir bloquer la machine. Dans la pratique, un membre du gouvernement arrive à l’hémicycle, expose les motifs de la nouvelle prorogation soumis aux députés. Ensuite, un député de la majorité propose une motion d’ordre pour ne pas engager le débat sur le projet. Après des arguments pour et contre, les élus se prononcent. La motion est approuvée : pas de débat. La prorogation de l’état de siège peut ainsi être adoptée.
Talatala a pu documenter quelques prorogations votées sans débat à l’Assemblée nationale.
Vers la fin de l’état de siège ?
Une table ronde est prévue pour évaluer l’efficacité de l’état de siège. En même temps, une proposition de loi portant fin de l’état de siège est dans le tiroir de l’Assemblée nationale, depuis le 19 avril 2022. Il est porté par les députés Thaddée Katembo Kambere, Alexandre Kambale Muhasa, Jackson Ausse Afingo, Daniel Kambale Musemo et Remyxon Mumbere Mukweso. Mais, ce texte n’a jamais figuré dans les calendriers des travaux de différentes sessions à l’Assemblée nationale.
Depuis le dernier rapport sur l’état de siège, plusieurs députés suggèrent par ailleurs de requalifier l’état de siège. Aussi, le Parlement attend toujours du gouvernement le dépôt du projet de loi portant modalités d’application de l’état d’urgence et l’état de siège en RDC.
Via talatala.cd