Le multimilliardaire impose le nom de son ancienne banque en ligne, X. com, pour faire table rase de quinze ans de l’oiseau bleu. Il s’inscrit aussi dans la tradition des dénominations avec « X », fréquentes dans le secteur des technologies. Explications.
Twitter est mort, vive X ! Ce dimanche 23 juillet, Elon Musk, le multimilliardaire nouveau propriétaire du réseau social, a annoncé son intention de rebaptiser l’entreprise « X. com » ainsi que de modifier son logo d’oiseau bleu pour un sobre X blanc stylisé sur un fond noir. Et la patronne de feu Twitter, Linda Yaccarino, de multiplier les promesses sans réel lien entre elles justifiant ce changement :« Il est extrêmement rare, dans la vie comme dans les affaires, d’avoir une seconde chance de faire une autre forte impression. Twitter a fait une énorme sensation et a changé notre façon de communiquer. Aujourd’hui, X va aller plus loin, en transformant la place publique mondiale. X représente le futur de l’interactivité illimitée – centrée sur l’audio, la vidéo, la messagerie, les paiements/banques – créant un marché mondial pour les idées, les biens, les services et les opportunités. Propulsé par l’IA, X nous connectera tous d’une manière que nous commençons à peine à imaginer. »
En réalité, Elon Musk renomme Twitter pour réutiliser le nom d’une de ses précédentes start-up, X. com, un site de banque en ligne qui a fusionné en 2000 avec PayPal pour éviter l’éclatement de la bulle internet, avant d’être revendu à eBay en 2002, propulsant Musk multimillionnaire à 31 ans. L’intéressé était toutefois resté propriétaire du site X. com.
« La bonne marque, pour une entreprise qui veut être le point central où se déroulent toutes les transactions, est X. Comme si le X représentait la transaction. »
Y a-t-il derrière le changement de nom de Twitter cette même ambition d’en faire un lieu centré sur les transactions financières ? L’avenir le dira. Reste l’obsession de Musk pour la lettre « X », que l’on retrouve également dans son entreprise spatiale, SpaceX. Mais il n’est pas le seul sur ce créneau : toute la tech mondiale a régulièrement recours à la vingt-quatrième lettre de l’alphabet latin et représentation du dix en chiffres romains.
Symbole de sciences et de mystère
Apple a rencontré un grand succès avec son système pour ordinateur Mac OS X, puis avec son iPhone X (« ce n’est pas “X”, c’est “10” », insistait un représentant de la marque). De son côté, Microsoft s’est illustré dans le secteur du jeu vidéo avec sa console Xbox (littéralement « boîte X »), à l’origine nommée « DirectX-box », en référence au logiciel de programmation multimédia DirectX. La dernière version de cette console multiplie d’ailleurs la lettre, s’intitulant Xbox One X. Enfin, Alphabet (la maison mère de Google) désigne par « X » son laboratoire secret dirigé par Sergey Brin, le cofondateur du moteur de recherche, et qui planche sur tous les projets futuristes comme les voitures autonomes, l’intelligence artificielle, les ballons servant de relais Wi-Fi ou encore des drones.
« X, nom du secret, appellation de la chose inconnue, je te vois inscrit dans les cieux », évoque avec poésie Paul Valéry, dans son « Alphabet ».La console Xbox One X de Microsoft. (MICROSOFT)
Faut-il voir dans cette passion pour le « X » une métaphore « qui implique que vous progressez et que vous avancez dans la vie, sans s’accrocher au passé », comme l’a évoqué le chanteur Chris Brown à « Rolling Stones » à propos de son album « X » ? Pas exactement. « Choisir un bon nom pour une marque est aussi important que de posséder une bonne matière première », souligne la sémiologue Mariette Darrigrand, auteure de « Comment les marques nous parlent (mal) », dans « le Monde », à propos des dénominations de produits de beauté. Le quotidien explique alors que la lettre « X » y est souvent utilisée en caution scientifique. Clément Chabert, spécialiste en naming au cabinet Landor Associates, renchérit :
« Universellement, le “X” a une connotation scientifique. Qu’on cherche à vendre une prothèse auditive, une photocopieuse ou une crème antirides, le “X” produit toujours cet effet. »
Le « X » est effectivement largement utilisé en sciences, depuis l’inconnue mathématique jusqu’aux rayons, en passant par le chromosome ou plus simplement le symbole de la multiplication. D’ailleurs, la réputée école polytechnique s’avère elle-même surnommée « l’X ». La sémiologue et linguiste Hélène Campaignolle-Catel va plus loin, à propos de cette lettre latine qui date de la première moitié du Ve siècle. Elle explique, dans un article fourni, qu’avant le savoir mathématique (et donc « la modernité »), le « X » symbolisait les mystères du passé, avec un ancrage « dans l’histoire (religieuse) ». Une double symbolique que soulignait déjà Victor Hugo : « X, ce sont les épées croisées, c’est le combat, qui sera vainqueur ? on l’ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris “X” pour le signe du destin, les algébristes pour le signe de l’inconnu. »
Un objet pop culturel
Toutefois, depuis, « X » a aussi servi à désigner en sociologie la génération née entre celle des baby-boomers et la génération Y, soit des années 1960 à 1980. A la fin des eighties, la lettre a également remplacé le diminutif « porno », jugé péjoratif et vulgaire, pour résumer l’industrie du sexe. Pour, finalement, être reprise partout. « En 1996, Douglas Coupland écrivait “Génération X” et révélait au monde la vacuité d’une jeunesse qui était la première à avoir grandi sans religion ni principes autres que la consommation, les ordinateurs et les meubles suédois en kit. X-trême, X-tasy, X-files : la dernière lettre de l’alphabet jouit d’une aura de mystère et d’interdit », souligne Benoît Clay dans « La Liberté mise à nu ». Toute la pop culture s’en est saisie, jouant à la fois du mystère (les affaires non résolues dans « X-Files », le mysticisme de l’Apocalypse dans le manga « X » du studio Clamp) ou du côté extrême (comme dans les films « American History X » de Tony Kaye ou la trilogie « xXx »).
Fantasque, Elon Musk se revendiquerait volontiers de ce côté « X-trême ». Reste que changer le nom de Twitter est un pari risqué, pouvant marquer la fin du réseau social tel qu’il est pour devenir un repaire d’idées d’extrême droite dont l’objectif pécuniaire s’affiche partout. Mike Proulx, directeur de recherche au cabinet Forrester, commente ainsi :« En changeant le nom de Twitter, Elon Musk aura à lui seul effacé plus de quinze ans d’un nom de marque qui s’est imposé dans notre lexique culturel. Il s’agit d’une décision extrêmement risquée, car avec “X”, Musk repart à zéro alors que la concurrence se prépare. »
Nouvelobs